La salle de Carthage au musée du Bardo, le triomphe de l’influence italianisante dans l’architecture beylicale du XIXe siècle
Publié le vendredi 30 septembre 2016 lu 18430 foisPar Mohamed Khaled Hizem
Si l’architecture palatiale, religieuse et funéraire de la Tunisie des XVIIe et XVIIIe siècles fut imprégnée, de temps à autre, par quelques apports ornementaux italianisants, se greffant aux traditions décoratives locales, ainsi qu’aux fortes influences ottomanes et hispano-mauresques, l’importance de ces derniers s’accrut considérablement au cours du XIXe siècle. Pendant le règne d’Ahmed Bey Ier (1837-1855), l’un des monarques les plus modernisateurs de la dynastie des Husseinites (1705-1957), ayant parmi ses réformes aboli l’esclavage dès 1846 (décret du 23 janvier), précédant ainsi la France (1848), les Etats-Unis (1865), le Portugal (1869) et le Brésil (1888), les intérieurs des palais beylicaux se dotèrent de plus en plus de décors italianisants, réalisés par des artistes et des artisans issus de la Péninsule.
Cette tendance s’affirma davantage sous Mohamed Bey (1855-1859) et Sadok Bey (1859-1882) ; sous le règne du second, fut promulguée, en avril 1861, la première constitution tunisienne, qui est, également, la première constitution du monde musulman.
Vue d'ensemble de la salle de Carthage, ancien patio couvert de l'aile privée du palais du Bardo. (crédit photo : Walid Mahfoudh)
Une des plus belles illustrations de l’engouement pour l’architecture et les décors d’inspiration italienne, dans la Tunisie beylicale des années 1850-1860, est, sans conteste, la salle de Carthage au musée national du Bardo, situé dans la banlieue ouest de Tunis. Avant l'inauguration de celui-ci en 1888, appelé à cette date « musée Alaoui » (du nom d’Ali Bey III), cette haute salle rectangulaire était le patio couvert de l'aile privée du palais du Bardo. Durant la seconde moitié des années 1850, cette dernière fut, en grande partie, rénovée par Mohamed Bey et par son successeur, Sadok Bey.
Gros plan sur la partie supérieure d'un groupe de trois colonnes, coiffées de chapiteaux néo-corinthiens, du péristyle du premier niveau.
Celles-ci, en marbre blanc de Carrare, soutiennent des arcs compartimentés à l’italienne. (crédit photo : Céline Rabaud)
La décoration de cette pièce à deux niveaux, possédant d'amples proportions, est aussi majestueuse qu’élégante. Au premier niveau, son péristyle, rythmé de vingt-quatre colonnes à fûts lisses et à chapiteaux néo-corinthiens, présente seize arcs moulurés en plein cintre, dont les intrados sont compartimentés à l'italienne. Les colonnes, ainsi que le dallage et les encadrements des portes, sont en marbre blanc de Carrare. Quant au revêtement mural, il est composé de carreaux de céramique, garnis de motifs géométriques et floraux.
Le second niveau, comportant une galerie bordée de balustrades soigneusement ouvragées, se distingue par une ornementation unique, n’ayant pas d’équivalent dans les autres résidences beylicales. Sous le plafond plat, couronné en son centre d’une petite coupole octogonale, se trouvent des successions d’arcs en plein cintre. Ces derniers sont séparés de pilastres à fûts cannelés et à chapiteaux ioniques. Ces pilastres se terminent par de remarquables retombées baroques ; chacune d’elles est agrémentée de feuillages et de volutes. Partiellement peints, les décors stuqués sont rehaussés de dorures.
Vue partielle du décor d’inspiration baroque de la galerie, située au second niveau.
Les arcs en plein cintre et leurs intrados, ainsi que les ornements à volutes, sont stuqués et agrémentés de dorures. (crédit photo : Mourad Ben Abdallah)
À la fin du XIXe siècle, l’ancien patio couvert subit certaines transformations, dues à son affectation muséale. Ainsi, des ornements furent supprimés ou simplement badigeonnés. Parmi ceux-ci, figurent les emblèmes de la dynastie husseinite, qui garnissaient les compartiments du plafond, ainsi que les motifs stuqués et peints des écoinçons des arcs du péristyle du premier niveau. Une restitution des décors disparus redonnerait tout son éclat à cet espace, qui, malgré ces quelques altérations, demeure un exemple notable de l’architecture palatiale husseinite au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. De nos jours, la salle de Carthage abrite, principalement, une partie de la collection de sculptures, notamment plusieurs statues, qui remontent à l’époque romaine.
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